Le débat sur l’Allemagne
La question de la politique allemande divise fortement le PS et, au-delà, une large partie de la gauche réelle. Elle est aussi révélatrice de la structuration de l’imaginaire d’une bonne partie des élites françaises depuis le désastre de 1940, à lire les réactions d’un Copé ou d’un Fillon. À l’UMP, parti « attrape-tout » de la Droite française, sous les proclamations d’un attachement au gaullisme, on sent bien que Munich et Vichy sont toujours bien présents. Cette « question » de l’Allemagne sert de révélateur à un état d’esprit constant dans la classe dirigeante. C’est en cela que ce débat, ou ce qui en tient lieu, est intéressant. Mais, comme toujours, sous l’écume des mots se cache un véritable débat.
Où le PS, et quelques autres, se ridiculisent.
Ce dernier à pris l’apparence d’une attaque contre la politique de Mme Merkel en Allemagne. Mais, un débat s’est invité dans le débat ! Le PS a ouvertement rompu avec les propres règles de démocratie interne qu’il avait fixées. La direction de ce parti refuse le droit d’expression à son aile gauche[1]. Cela n’étonnera personne ; dans l’expression « social-démocrate » nous avons deux mensonges pour le prix d’un. Le PS n’est plus un parti « social », dans la mesure où il accepte tous les reniements et il n’est certainement plus un parti « démocrate » pour la raison que, pour faire accepter ces dits reniements, il doit renoncer à la démocratie dans ses propres rangs. Ayant fait les frais des pratiques de ce parti dans le passé, je n’en suis nullement surpris. Je suis par contre étonné que d’aucuns puissent être encore surpris par les pratiques qui sont sommes toutes habituelles du PS.
Revenons au principal du débat, ou à ce qu’il devrait être. Le texte initial de la majorité du PS stigmatisait fortement l’Allemagne et Mme Merkel. Suite à une intervention de la Présidence de la République et de l’Hôtel Matignon, c’est une version très affadie qui a en définitive été adoptée. On jugera sur pièce. Cependant, la proposition de l’aile gauche du PS, n’est pas, elle non plus, précise. Elle propose un « traité social européen », une « suspension du pacte de stabilité », un « plan de relance » à l’échelle européenne et le refinancement massif des dettes publiques par la Banque Centrale Européenne. On a du mal à comprendre pourquoi un tel texte a été censuré. Ces propositions sont celles qui sont traditionnellement mises en avant par le PS depuis des années avec le succès que l’on sait ! De manière symptomatique les auteurs de ce texte ne font aucun effort pour chiffrer leurs propositions. L’eussent-ils fait qu’ils s’apercevraient qu’elles sont irrecevables pour l’Allemagne (et des pays comme l’Autriche ou la Finlande). C’est bien gentil quand on fait partie d’une collectivité de dire « il faut faire ceci ou cela » mais si l’on ne regarde pas les montants, le poids de ceux-ci sur d’autres membres de la collectivité, on n’a guère de chance de voir son projet appliqué. Dès lors, la seule fonction de ces propositions ne peut être que de se laver les mains et de garder une conscience propre, en sachant que jamais ces propositions n’aboutiront. Les centaines de milliers de chômeurs qui sont venus rejoindre les millions déjà existants apprécieront.
D’une certaine manière le Parti de Gauche, pourtant fort critique vis-à-vis du PS participe de cette mascarade. On tonne contre Mme Merkel, on affirme qu’il faut résister à l’Allemagne, mais l’analyse de la position du gouvernement allemand relève plus du fantasme que de la réalité. On a déjà eu l’occasion de critiquer les outrances des Jean-Luc Mélenchon sur ce point, et de souligner à quel point elles traduisaient une profonde incohérence d’analyse et de programme[2]. C’est cette incohérence qui l’oblige justement à hausser le ton, comme seront tout aussi obligés les responsables de la gauche du PS s’ils veulent se faire entendre.
La réalité du problème de la politique des gouvernements allemands depuis 2000.
Ces prétendus débats n’ont pas d’autre fonction que d’occulter celui que l’on doit mener sur la réalité de la politique des gouvernements allemands depuis plus de dix ans. Il faut en effet, pour comprendre les enjeux réels de ce débat, revenir sur l’histoire (relativement) récente. De 2000 à 2003, le gouvernement dirigé par le SPD a mis en place l’équivalent d’une dévaluation interne de 10% en Allemagne en transférant sur les salariés une part des charges des entreprises. Le déficit commercial s’est alors transformé en un excédent massif car les coûts des entreprises ont diminué et la demande intérieure allemande aussi. L’Allemagne a, en conséquence, développé un excédent commercial important au détriment des principaux pays de la zone Euro. Cette politique a précipité la crise de l’Euro, bien plus que les malversations budgétaires de la Grèce, en créant un déséquilibre brutal et profond au sein de la zone Euro. Elle appelle cependant deux remarques.
Tout d’abord, elle prouve que l’Euro n’empêche nullement des politiques non-coopératives, ce que les économistes appellent des politiques exploitant ses voisins ou beggar-thy-neighbour. Tous les discours qui furent tenus pour justifier la mise en œuvre de l’Euro au nom de la volonté d’éviter des dévaluations compétitives s’effondrent alors, car ce qui fut pratiqué par le gouvernement allemand à l’époque, et un gouvernement SPD notons le bien, fut une dévaluation compétitive à laquelle les partenaires de l’Allemagne n’ont pu répondre fautes de disposer de la flexibilité monétaire en raison de la monnaie unique. Ensuite, cette politique n’était pas imitable par les autres pays, ce qui réduit à néant l’argument selon lequel il nous faudrait imiter les allemands. En effet, si en Europe nous avions tous comprimé nos demandes intérieures et diminué les coûts des entreprises, le résultat commercial aurait été nul, mais le résultat économique aurait été profondément désastreux. L’Europe aurait connu dès cette époque (2004) la dépression qu’elle connaît aujourd’hui. Autrement dit, le gouvernement allemand a pratiqué ce que l’on appelle une politique de « passager clandestin » en Europe. Voilà qui tranche avec le monde des bisousnours dans lequel baignent tous les euro-béats du PS et d’ailleurs.
Dire cela n’est pas faire de l’anti-germanisme primaire, mais simplement rappeler les faits. Il faut alors chercher à comprendre les causes de cette politique. Qu’il y ait eu une volonté de favoriser les grandes entreprises, et ce que l’on appelle rapidement le « grand capital » allemand est évident. La part de la richesse accumulée par le 1% le plus aisé de la population est très élevée en Allemagne, et correspond à peu de choses près au niveau britannique. D’ailleurs, le développement d’une pauvreté de masse en Allemagne est là pour nous le rappeler. Mais il faut aussi regarder certaines des contraintes spécifiques pesant sur ce pays, et en premier lieu la contrainte démographique. L’Allemagne est appelée à se dépeupler. Elle ne peut garantir le montant futur des retraites que par l’accumulation d’excédents importants. C’est pourquoi croire que l’Allemagne pourrait « spontanément » revenir sur cette politique est une profonde illusion.
Les alternatives possibles.
Dès lors, dans une telle situation, quelles sont les alternatives possibles ? Nous pouvons accabler l’Allemagne de demandes pour que les salaires soient massivement augmentés, et pour qu’une politique de transferts budgétaires soit mise en place. Mais il en sera de ces demandes comme des sempiternelles demandes concernant l’Europe sociale. Elles ne seront suivies d’aucun effet, si ce n’est d’accroître de manière considérable la frustration des personnes qui honnêtement suivent une telle politique. Car nous ne sommes pas dans un monde de bisousnours, n’en déplaise au PS, où il suffit de demander pour être exaucé.
Nous pourrions aussi envahir l’Allemagne et demander, par la force de notre armée, que nos demandes – que nous considérons comme légitimes naturellement – soient prises en considération. Il est certain que si une compagnie de chars Leclerc encerclait le siège de la BCE à Francfort ceci aurait quelques effets sur la politique de cette institution. Mais est-ce cela que l’on veut ? C’est heureusement une hypothèse encore plus illusoire que la première alternative. Néanmoins, cette « solution » est dans la logique des discours qui sont aujourd’hui tenus, et dont leurs propres auteurs ne mesurent pas ce que leurs propres mots impliquent. Si, effectivement, les demandes que nous soumettons au gouvernement allemand sont légitimes, et si nous sommes confrontés à des fins de non-recevoir qui elles ne le sont pas, alors il serait logique d’user de la violence. Car, dans un monde où prédominent les rapports de force la violence de la politique du gouvernement allemand par rapport aux autres pays européens appelle logiquement en retour la violence de ces derniers vis-à-vis de l’Allemagne.
Mais, heureusement, il existe une troisième alternative. Nous pouvons agir de façon telle que, quelle que soit la position du gouvernement allemand, nous obtiendrons satisfaction, et ceci sans violence et sans chercher à obtenir par la contrainte ce que nous ne pouvons obtenir par la négociation. Cela est parfaitement possible. Il suffit de sortir de l’Euro et de dévaluer notre monnaie retrouvée. Cette solution peut d’ailleurs être appliquée par l’ensemble des pays de l’Europe du Sud. Il est intéressant de savoir que le fondateur de l’équivalent du Front de Gauche en Allemagne, Die Linke, Oskar Lafontaine, vient de se rallier spectaculairement à cette option. Les raisons pour lesquelles celui qui fut, en tant que dirigeant du SPD, un des plus fervents promoteurs de l’Euro à pris une telle décision sont les mêmes que celles que nous avons exposées ici : la compréhension des limites intrinsèques de la monnaie unique et la volonté de trouver une solution sans violence.
Voici donc quel devrait être le débat sur la politique du gouvernement allemand et les réponses que la logique nous dicte. Mais, pour cela, il faudra rompre avec les postures, les impostures, et les effets de manche, et cesser de considérer que nous vivons dans le monde des bisousnours. Vaste programme aurait dit quelqu’un…
[1] Voir, sur le Blog de G. Filoche le texte de la motion proposée par l’aile gauche du PS et exclue du débat par la direction du parti : http://www.filoche.net/#.UYA0OUma9G8.twitter
[2] Voir J. Sapir, « Mélenchon, l’euro et l’outrance », note publiée sur le carnet RussEurope, le 29 mars 2013, http://russeurope.hypotheses.org/1102
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